Culture
Portrait de femme qui a marqué Paris : Kiki de Montparnasse
Vivre Paris vous livre le portrait d’une muse incroyable, femme aux multiples talents, qui a largement inspiré le Paris des années folles et ses artistes : Kiki de Montparnasse.
Nous sommes le 2 octobre 1901, Alice Ernestine Prin naît à Châtillon-sur-Seine, en Bourgogne-Franche-Comté. Enfant illégitime de Marie Prin, linotypiste (ouvrière qui travaille sur une linotype, machine à composer et à fondre les caractères d’imprimerie) et de son amant, riche marchand de bois, la petite Alice grandit avec sa grand mère dans une extrême pauvreté.
A 12 ans elle rejoint Paris pour la première fois, pour y vivre avec sa mère au 12 rue Dulacet (75015) et devenir son apprentie. Mais la jeune fille va enchainer les petits boulots, jusqu’à finir bonne chez un boulanger de la place Saint-George (75009). Victime de mauvais traitement, elle se rebelle et finit sans le sou. C’est là que débute sa carrière de modèle. Alice pose nue pour des sculpteurs contre de l’argent, une activité associée aux prostituées que sa mère méprise. La jeune Alice se retrouve à la rue en plein hiver 1917.
Alice a 16 ans. Elle trouve refuge chez le peintre Chaïm Soutine. Elle passe ses journées au bar de la brasserie La Rotonde (75006), tirant les portraits des soldats qui s’y attablent et rêvant d’être une de ses femmes chapeautées de la terrasse (seule les femmes riches pouvaient s’y installer ; le chapeau était un signe de cette richesse).
Avec sa vitalité, ses yeux trop grands et sa liberté farouche, Kiki a marqué de son empreinte la vie des artistes qu’elle a rencontrés. Modigliani, Foujita, Mandel, Kisling… A l’époque, peintres et photographes l’adulent. Alice se coupe les cheveux courts, se maquille de khôl et de rouge à lèvres rouge vif et devient Kiki.
Emmanuel Radnitsky, de son nom d’artiste Man Ray,
grand acteur américain du surréalisme à Paris, peintre, photographe et
réalisateur en fait son modèle préféré (et son amante)
pendant huit ans.
Il lui trouve un physique « de la tête aux pieds, irréprochable », la fait tourner dans ses films et l’introduit dans des cercles d’intellectuels parisiens. Kiki rencontre ainsi Paul Eluard, André Breton, Louis Aragon…
En 1924 Man Ray immortalise la jeune femme nue, de dos, et ajoute à sa photo deux ouïes de violon. Le Violon d’Ingres est né, l’un des cliché les plus célèbres de Kiki.
En 1926 Kiki et son amie Thérèse Treize habitent à l’hôtel Raspail, au 232 du boulevard Raspail (75014). Modèle pour les photos, les sculptures, danseuse, actrice… Kiki est aussi une artiste. Elle expose régulièrement ses peintures dans des galeries parisiennes, notamment « Au Sacre du printemps » (75006) ou dans la galerie historique « Georges Bernheim » (75008) qui a fermé cette année après 150 ans d’activité.
Kiki aime la vie, aime les arts, les hommes, l’alcool et la fête… En 1929, elle passe 10 jours en prison à Nice après s’en être violemment pris à un patron de bar qui l’avait recalée. Elle raconte la scène dans un carnet de souvenirs :
« (…) Un soir, je vais retrouver des matelots amis dans un bar anglais où nous n’allons jamais. J’avais à peine ouvert la porte que le patron me crie: » Pas de putain ici ! « . Je me précipite sur lui et lui lance une pile de soucoupe sur la figure. Mes copains entament la bagarre, mais la police du bateau arrive ! (…) »
Et si ça ne suffisait pas, lorsque la police tente de l’emmener au poste, elle frappe le commissaire à coup de sac à main… Elle doit sa libération à Man Ray et ses contacts. Il faut dire qu’en cette période de crise, Kiki consomme beaucoup de drogue, elle en parle comme « des friandises pour caresser l’âme ».
De retour à Paris elle rencontre le journaliste Henri Broca et en tombe folle amoureuse. C’est dans le journal qu’il crée, Paris-Montparnasse, qu’elle publie les premières pages de son livre de souvenirs. Elue « Reine de Montparnasse », Kiki devient Kiki de Montparnasse.
Son succès s’exporte même jusqu’aux Etats-Unis. On lui propose une traduction de son ouvrage, dont la préface est écrite alors par Hemingway (tout de même)… « Voici un livre écrit par une femme qui n’a jamais été une lady… mais une reine. » Mais l’oeuvre, jugée trop « scabreuse », est finalement censurée.
Qu’importe, à Paris, Kiki vit la belle vie. Pour gagner sa vie, elle chante et danse dans les cabarets. Le 14 novembre 1930, elle débute au Concert Mayol (75010), puis se produit au Moulin de la Galette (autrefois un bal, il est aujourd’hui privé et est seul moulin à vent encore en état de marche sur la butte Montmartre ; 75018), le célèbre Boeuf sur le Toit (75008) ou encore le Cabaret des Fleurs (75014).
Même la grande Edith Piaf la considère à l’époque comme une rivale de taille.
- Vous pouvez écouter sa voix grâce à cette archive :
Son train de vie est démesuré, Kiki boit et mange trop. En 1934, elle pèse 80 kilos mais continue de poser, notamment pour Per Krohg, qui dit aimer sa « croupe » qui lui fait penser « à un trois-mâts toutes voiles dehors ».
Agée de 36 ans, Kiki Montparnasse ouvre son propre établissement, Chez Kiki, rue Vavin dans le 6 ème arrondissement de Paris. Elle entame une relation avec le pianiste accordéoniste de son cabaret, André Laroque. Il l’aide à décrocher de la drogue et tape ses mémoires à la machine (mémoires publiées seulement en 2005).
Kiki performe jusqu’en 1943, au Jockey, le cabaret du 127 boulevard Montparnasse (75006).
Malade, elle meurt dix ans plus tard, le 23 mars 1953, à l’hôpital Laennec de Paris. Inhumée au cimetière de Thiais (Val de Marne), on raconte que de ses nombreux admirateurs seul Léonard Fujita aurait assisté à son enterrement.
Kiki demeure aujourd’hui dans les esprits de tous comme l’égérie infatigable du Montparnasse des années folles, muse émancipée et avant-gardiste du Paris artistique de l’entre-deux guerres.
Jean-Paul Crespelle, critique d’art spécialiste des figures dramatiques et pittoresques écrivit dans son ouvrage, La vie quotidienne à Montparnasse à la grande époque 1905-1930: « Kiki était une fleur du pavé parisien. »
C.B